L’ambassadeur a accordé une interview à l’hebdomadaire local « Bitolski vesnik », faisant suite à sa visite dans la deuxième ville de Macédoine du Nord qui a eu lieu le mercredi 8 décembre
1. Votre Excellence, vous avez récemment été nommé nouvel ambassadeur de la République française en Macédoine du Nord. Comment trouvez-vous le pays et à quel point le connaissiez-vous avant votre arrivée ?
Avant de prendre mes nouvelles fonctions à Skopje, j’étais déjà venu à plusieurs reprises en Macédoine du Nord. La première fois remonte au début des années 1980. Traversant la Yougoslavie pour me rendre en Grèce, j’avais passé une nuit dans les environs de Negotino. Par la suite, dans les premières années du siècle, j’ai passé quelques jours à Ohrid et encore ensuite il y a une petite dizaine d’années, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de me rendre à Skopje et de traverser le pays pour des raisons professionnelles. Concrètement, cette expérience est ancienne mais trop ténue pour me permettre d’avoir des éléments de comparaison avec la situation que je découvre aujourd’hui. En fait, je pose un regard neuf sur le pays. Mes impressions personnelles sont très positives mais je ne vais pas les développer parce que personne ne s’attend à ce qu’un diplomate dise autre chose même s’il est sincère. En revanche, j’arrive à un moment politique qui est à la fois complexe et intéressant. Le pays a beaucoup changé au cours des dernières années ; il est aujourd’hui mieux inséré dans le système mondial et multilatéral et, malgré les difficultés conjoncturelles du moment présent, cela ne va pas s’arrêter là. Ce moment coïncide aussi avec la volonté de la France d’être plus présente dans cette région du monde en général, et en Macédoine du Nord en particulier. C’est le sens de la nouvelle stratégie française pour les Balkans, qui a été voulue et décidée par le Président Macron. Et dans quelques mois, nous célébrerons le 20ème anniversaire des accords d’Ohrid, auxquels d’importantes personnalités françaises ont été associées. Cette commémoration sera donc me semble-t-il aussi celle de l’histoire qui unit nos deux pays, qui est une histoire d’amitié entre nos deux peuples.
2. Vous êtes arrivé au poste d’ambassadeur au moment-même où la Macédoine du Nord traverse une grave crise sanitaire et politique - à la fois avec la pandémie de COVID-19 et avec le blocage bulgare qui menace l’ouverture des négociations d’adhésion. En tant qu’ambassadeur, quel est votre regard sur la situation ?
En effet, nous avons d’un côté une crise qui est mondiale, sanitaire au départ mais d’une gravité telle qu’elle a conduit à l‘interruption d’une part important de l’activité humaine et de la production mondiale ; l’impact sur l’économie et nos sociétés est majeur, et en même temps, personne ne sait encore parfaitement le mesurer parce que cette crise n’est pas surmontée et que le moment où elle le sera n’est pas certain. Face à cette situation inédite et grave, il me semble que beaucoup de gouvernants font, chacun avec les moyens dont il dispose, de leur mieux pour mettre en œuvre une riposte qui permette d’atteindre le meilleur équilibre entre les impératifs de santé publique et la protection, qui est vitale elle aussi, du tissu économique et social. Ce n’est pas simple, la recherche de cet équilibre est permanente car ce virus qui est encore largement inconnu mute et que les situations épidémiologiques évoluent. En même temps des formes nouvelles de coopération se mettent en place, en premier lieu au niveau européen, pour la production, la distribution et l’accès équitable aux vaccins, la coordination des approches, ou encore des mesures d’aide spécifique ; pour mémoire, se sont ainsi plus de 3 Mds d’euros pour les Balkans occidentaux ! Et puis d’un autre côté, nous avons cette situation de blocage qui pour le coup affecte singulièrement la Macédoine du Nord même si l’Albanie se trouve de fait dans une situation similaire mais pour des raisons différentes.
Cela fait donc en effet beaucoup en même temps pour la Macédoine du Nord. Dans ce contexte, ce qui me frappe c’est la résilience et la sang-froid des Macédoniens. Je vois beaucoup de patience, de calme, de méthode et de détermination pour chercher à surmonter au mieux ces différents obstacles. Je pense que c’est la bonne attitude en attendant et pour préparer les jours meilleurs prochains. Chacune de ces deux crises va finir par être surmontée, la seule question qui reste posée est de savoir précisément quand.
3. Lors du sommet en ligne des Balkans occidentaux à Sofia, le président Macron a réaffirmé le soutien de la France aux perspectives européennes des Balkans occidentaux. Ce soutien, n’est-il pas menacé par la prise de décision fondée sur un consensus, en vigueur dans l’UE, où un seul pays peut bloquer l’initiative commune ?
La position de la France est claire et constante, nous soutenons les perspectives européennes des Balkans occidentaux. L’Union européenne est l’horizon politique naturel des pays des Balkans occidentaux, dont l’Histoire les a injustement exclus. C’est pour cette raison que je préfère parler de réunion, voire de retrouvaille dans la famille européenne, que d’élargissement. Quoi qu’il en soit, cette position de soutien, qui est forte et sans équivoque, devait trouver à se concilier avec un constat ; l’UE telle qu’elle fonctionne aujourd’hui à 27 rencontre déjà des difficultés à faire face aux nouveaux défis, nombreux, qui se posent à elle. C’est dans ce sens que la France a demandé et obtenu en mars dernier une révision de la méthodologie de l’intégration européenne. Et aujourd’hui dans ce cadre, nous soutenons pleinement une ouverture dès que possible des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord, en saluant les efforts importants qu’a déployés la présidence allemande du Conseil de l’UE ainsi que son approche de ce dossier, qui demeure à nos yeux pertinente.
Mais le besoin d’un surcroît d’efficacité, dans les méthodes et les procédures européennes, doit continuer à être recherché par ailleurs. Et à cet égard, il est vrai que la question du véto se pose. Pour bien comprendre, il faut voir que le véto et le consensus, ce sont deux choses très différentes. Le véto, c’est la possibilité juridique pour un seul pays, de dire non à tous les autres, et ce faisant de bloquer une avancée. Le consensus, c’est un principe politique, qui veut que tous se mettent d’accord sur une ligne commune, ce qui suppose généralement au préalable du travail, des efforts et des compromis. Le consensus est profondément européen dans son esprit. Quant au véto, la tendance lourde, au fil de la construction européenne et des traités, est celle d’une réduction progressive de son champ d’application. Il y a encore 20 ans, il fallait l’unanimité pour adopter un instrument tel que le mandat d’arrêt européen ; c’est-à-dire qu’un seul Etat membre était en mesure de s’y opposer par son véto. Le traité de Lisbonne a modifié cela, mais plusieurs sujets n’en restent pas moins régis par l’unanimité. Pour certains d’entre eux, la France soutient qu’il faudrait changer cela. Prenez le domaine de la fiscalité par exemple. Est-il normal que les compagnies de l’internet par exemple, qui sont parmi les plus puissantes du monde aujourd’hui et les rares qui ont vu leur activité croître durant la crise sanitaire actuelle, échappent pour une large part à l’impôt ? Sur d’autres sujets en revanche, plus consubstantiels ou constitutifs au regard de la construction européenne, le maintien de l’unanimité a un autre sens. Autrement dit, il ne semble pas injustifié compte tenu de l’importance et de la nature des enjeux qu’un sujet tel que l’ « élargissement » soit régi par l’unanimité. La question est plutôt l’usage que l’on en fait. Je le répète, il y a les règles –dont éventuellement celle de l’unanimité-, et il y a la pratique, avec un esprit européen qui pousse au consensus. Regardez l’accord qui vient d’être trouvé sur le cadre financier pluriannuel et le plan de relance européen, que beaucoup, hors de France, jugeaient compromis à cause du véto de deux Etats. Donc je le répète, en ce qui concerne la Macédoine du Nord, je crois que l’on peut être confiant, la question n’étant pas si mais quand les sur négociations d’adhésion finiront par être lancées.
4. Des dizaines de milliers de bombes non explosées, vestiges de la Première Guerre mondiale, ont été déminées à Bitola ces jours-ci. Comment la France peut-elle aider Bitola à se déminer des bombes ?
Nous avons évoqué ce sujet avec la Maire lors de la visite à Bitola. Même si ce sujet n’est pas de la compétence première de la municipalité, il ne peut évidemment la laisser indifférente. Je dirais que la situation est la même pour mon pays. Rapidement après la découverte de cet arsenal, l’ambassade a été en contact avec la direction de protection et de sauvetage de la république de Macédoine du Nord, et parallèlement elle s’est rapprochée des différents services français concernés par ce type de problématique. Les retours obtenus notamment de la direction générale chargée de la protection civile au sein du ministère de l’intérieur français ont été rapides et très encourageants. Je pense que nous allons être en mesure de mettre en place une coopération qui permettra d’aider concrètement à la neutralisation de ces engins. Il y a tout d’abord des aspects pratiques et logistiques à régler, en lien avec de possibles partenaires européens. Au-delà de cette action visant à répondre à l’urgence de la situation, nous réfléchissons aux moyens d’envisager une coopération plus structurelle dans ce domaine, idéalement qui prenne en compte les différentes dimensions de ce sujet, au-delà de son aspect sécuritaire qui est bien sûr prioritaire.
5. Vous êtes à Bitola pour la première fois. Comment trouvez-vous Bitola en tant qu’ambassadeur ?
Si j’étais cohérent, je ne répondrais pas à cette question pour les raisons que j’ai indiquées en introduction. Mais mon passage à Bitola, bien que bref, a été dense et je ne résiste pas à la tentation de vous livrer mes premières impressions. J’ai commencé ma visite par le cimetière et le mémorial français. Ce sont des lieux chargés de mémoire, simples mais conçus avec intelligence et avec cœur, entretenus avec soin, qui sont empreints de gravité et de dignité. Ils attestent de la profondeur de ces liens entre nos deux nations que j’évoquais précédemment, et qui, à Bitola, s’incarne aujourd’hui dans le dynamisme de notre consule honoraire, l’activité enthousiaste de la directrice de l’Alliance française, la coopération avec le rectorat de l’université…. Le temps consacré à la visite de ville a été court, mais j’ai été séduit par ce mélange architectural original entre une forme de classicisme à la françaises et des éléments de style plus oriental. Depuis la mairie, on aperçoit un clocher qui jouxte une mosquée –image paisible et chargée de sens- et une fois dans celle-ci, la clarté des lieux, l’élégance des volumes, et jusqu’à la décoration florale, dégagent un charme certain à mes yeux.
Mon entretien avec la maire a été cordial et prometteur. Nous avons des sujets d’intérêt commun et je crois, une volonté partagée de chercher à les promouvoir. Mme Natasha Petrovska m’a reçu avec chaleur et professionnalisme. Elle ignorait encore avoir contracté la COVID-19, mais elle comme moi avons suivi les gestes barrière et cette rencontre n’a donc eu aucune conséquence au plan épidémiologique. Je suis heureux d’avoir cette occasion pour lui exprimer publiquement toute ma sympathie, lui souhaiter un prompt rétablissement, et lui dire tout le plaisir que j’aurai à la revoir prochainement, à l’ambassade où elle sera toujours la bienvenue et à Bitola que je compte bien visiter à nouveau.