L’ambassadeur a accordé une interview le dimanche 17 mai à l’agence de presse MIA. Il y aborde la situation sanitaire actuelle en France liée à la pandémie de COVID-19 et les perspectives des négociations d’adhésion à l’UE dans ce nouveau contexte.
1. En période de pandémie le Conseil européen a décidé en mars d’entamer des négociations pour l’adhésion à l’UE de la Macédoine du Nord et de l’Albanie, mais les conclusions du Conseil incluaient également les remarques de la Bulgarie en tant qu’avis d’un État membre sur les questions d’identité. Comment interprétez-vous le point de vue de certains des citoyens selon lequel ces exigences bulgares dans le domaine historique et linguistique, réitérées récemment par la ministre bulgare des Affaires étrangères, constituent un potentiel nouveau veto à l’intégration européenne de Skopje ?
La France a salué le Traité d’Amitié signé en 2017 qui inaugurait une démarche volontariste de normalisation des relations du pays avec ses voisins. La dynamique positive inaugurée alors et poursuivie avec l’Accord de Prespa a permis la décision prise à l’unanimité des États-membres d’ouvrir les négociations d’adhésion.
Cet esprit positif doit être préservé de part et d’autre, notamment dans le travail des commissions spécialisées qui ont donné certains résultats encourageants. Il faut continuer, en cherchant un langage commun, fondé sur la recherche scientifique et un esprit de compréhension mutuelle. C’est l’esprit européen et cette promesse de valeurs partagées qui ont permis hier l’adhésion de nouveaux membres et permettront demain l’intégration de nouveaux membres.
Les deux nations s’accordent qu’elles ont une histoire et des racines culturelles partagées, comme en a témoigné la belle initiative de l’hommage rendu chaque année ensemble au plus haut niveau politique à Rome à Saints Cyrille et Méthode. Nous avons besoin en Europe et surtout venant des Balkans d’un esprit de discussion dans le respect de l’autre. Il faut que les poussées de fièvre s’apaisent dans l’intérêt de chacun des deux États et des deux peuples mais aussi de l’Europe qui doit répondre à des défis nouveaux, qui menacent sa survie, ses valeurs et sa prospérité.
La France ne sous–estime pas les questions héritées du passé et a proposé en novembre 2019 lors de sa présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe la création d’un Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe pour valoriser celle-ci comme héritage commun pour une Europe réconciliée. Elle a financé le lancement de ce projet qui doit reposer sur une approche neutre et objective avec une compréhension des représentations diverses de l’histoire et un effort pour que des stéréotypes ou des manipulations ne viennent pas s’opposer aux aspirations générales des peuples européens à écrire ensemble un nouveau chapitre d’histoire.
2. Le sommet de Zagreb était axé sur la crise du Covid-19. Selon certaines sources il pourrait y avoir un report du processus de négociation à cause de la crise sanitaire. Le processus d’élargissement peut-il être ralenti en raison de la pandémie ?
Le Sommet s’est tenu dans des conditions sans précédent parce que chacun des États- membres est plus fortement conscient de la volonté des peuples de rejoindre un jour l’Union et de la nécessité d’actions concrètes pour permettre la réalisation de cet enjeu stratégique. Il ne pourra se réaliser sans des progrès tangibles dans l’État de droit et des convergences économiques et sociales. Elles requièrent des efforts politiques redoublés de la part des États de la région et aussi la résolution progressive des contentieux que nous ne devons pas importer dans l’Union. La crise sanitaire doit nous inciter par ailleurs à penser notre sécurité y compris sanitaire de la manière la plus large possible : c’est une incitation pour tous à accélérer le rythme des changements pour rester à la hauteur de notre histoire. La France souhaite que la Macédoine du Nord avec d’autres pays européens puisse s’associer à l’initiative franco-allemande pour la recherche internationale d’un vaccin qui serait un bien public à la libre disposition de tous les peuples. C’est cet esprit européen qui doit vaincre fait de réalisation concrètes.
3. Depuis le mois de mars, après la décision du Conseil, la Commission Européenne prépare un projet de cadre de négociation avec la Macédoine du Nord qui devrait être présenté début juin, suivis d’une harmonisation des positions des pays membres de l’UE. Le temps imparti est-il suffisant pour achever le processus de préparation du cadre de négociation, débuter officiellement les négociations et que la conférence intergouvernementale ait lieu sous la présidence allemande au cours du deuxième semestre, conformément aux attentes des autorités macédoniennes ?
Il faut toujours se donner des objectifs ambitieux, et plus encore dans une période de défis sans précédents. La hauteur des circonstances devrait inciter chacun à redoubler d’efforts et à travailler à aplanir les obstacles, s’il y en a. Le Commissaire Várhelyi semble confiant dans les chances d’aboutir : il doit avoir le soutien de tous. L’essentiel est que la dynamique soit lancée avec des équipes macédoniennes compétentes, appuyées par un gouvernement fonctionnel, motivé et fort de la légitimité conférée par de nouvelles élections.
4. Dans le processus d’harmonisation du cadre de négociation, les États membres doivent harmoniser leurs points de vue. Quelle serait la position de Paris si Sofia insiste sur l’intégration dans le cadre des négociations des demandes historiques et identitaires ?
Pour le cadre de négociation, nous faisons confiance à la Commission pour harmoniser les positions et trouver un langage commun, conforme à l’intérêt européen. Nous souhaitons que la force de l’esprit européen l’emporte pour finir, compte tenu de l’importance des enjeux et de l’intérêt commun à réussir le lancement de ces négociations, sur la base de la nouvelle méthodologie que nous avons promue avec d’autres États-membres. La bonne volonté qui a présidé au traité de 2017 fait de ce texte une base solide pour progresser dans les divergences qui peuvent subsister entre les deux parties.
5. La France a insisté sur l’adoption d ’une nouvelle méthodologie d’élargissement, y aurait-il éventuellement d’autres demandes de la part de Paris ?
La nouvelle méthodologie, avec son insistance sur la construction réelle et vérifiable de l’État de droit, et son caractère réversible, remplit l’essentiel de nos souhaits, dans l’intérêt même des populations et de l’Union elle-même. Celle-ci doit aussi assurer les moyens du développement économique et social de la région et se rénover pour permettre l’accueil dans de bonnes conditions de nouveaux membres.
6. La France souligne l’importance de l’état de droit et de la lutte contre le crime organisé et la corruption comme des éléments clefs des réformes que le pays doit accomplir sur son chemin vers l’UE. Comment évaluez-vous les progrès du pays dans ces domaines en prévision du nouveau rapport de la CE, dans le contexte du fonctionnement établi par la Commission d’état de lutte contre la corruption et le crime organisé et à la veille du verdict dans l’affaire "Racket" ?
Les progrès sont à saluer sur plusieurs points depuis 2017 avec l’adoption de certaines réformes et législations attendues de notre part notamment dans le domaine judiciaire. Il conviendra d’en vérifier la mise en œuvre concrète en termes d’indépendance du judiciaire vis-à-vis de l’exécutif et de lutte effective contre la corruption. Le public a désormais la capacité de s’informer assez étendue pour juger des résultats à venir de l’instruction de l’affaire que vous mentionnez. C’est déjà un grand pas en avant. Les efforts de la Commission anti-corruption sont connus et font désirer qu’elle dispose de plus de moyens pour un contrôle effectif et impartial des nombreuses affaires qui lui sont soumises avec un suivi après transmission éventuelle à la Justice. On constate aussi le dynamisme renouvelé de la Cour constitutionnelle, qui fait espérer un vrai pas en avant de l’État de droit et une convergence vers les systèmes européens. La consolidation du rôle de l’ombudsman doit aussi être poursuivie.
7. La Macédoine du Nord est sur le point de tenir ses dixièmes élections législatives. Les Français se sont rendus aux urnes le 15 mars au premier tour des élections municipales, les résultats sont valides et le deuxième tour approche, le 21 juin étant une date probable. La France se prépare-t-elle au vote et comment s’organise-t-elle dans les conditions actuelles de pandémie ?
La décision pour tenir un deuxième tour le 21 juin dans les 5000 municipalités qui doivent recourir à un second scrutin (dont Paris) n’est pas encore prise et des discussions actives sont en cours entre le gouvernement et les forces politiques afin d’arriver à un consensus raisonnable, où les questions sanitaires seront prioritaires, même dans le contexte de décrue de la pandémie dans un grand nombre de nos régions. On voudrait naturellement que les conditions soient réunies pour voir augmenter la participation qui donne pleine valeur aux résultats électoraux.
8. Selon les données de l’OMS, le 13 mai, la France figurait parmi les dix pays comptant le plus grand nombre de nouveaux cas, les restrictions ayant été assouplies le 11 mai. Quel est la situation sanitaire actuelle aujourd’hui en France et comment gérez-vous la pandémie ?
La France est entrée dans une phase de déconfinement par phases, progressif mais réversible, qui distingue entre zones plus ou moins touchées et selon leurs capacités hospitalières. L’activité économique reprend progressivement mais en privilégiant les seuls déplacements indispensables dans les transports publics à Paris et dans sa région, et la réouverture limitée des établissements scolaires et des commerces, avec des précautions sanitaires. Les déplacements en véhicules privés sont limités pour l’instant à un rayon de 100 km autour du domicile. Les transports publics sont astreints à des conditions strictes d’hygiène. Toutefois certaines plages vont être rouvertes au public comme certains musées ou établissements culturels. Les réservations touristiques internes sont à nouveau encouragées. L’espoir existe que le sévère confinement imposé à la population a porté des résultats, mais nous sommes préparés pour affronter si nécessaire une seconde vague.
9. Où en est la mise en place de l’Agence française de développement en Macédoine du Nord ?
Nous sommes dans la dernière phase de mise au point de l’accord : nous avons continué notre travail avec nos excellents partenaires des Affaires étrangères et des Finances macédoniennes pendant ces jours difficiles. Nous voudrions signer rapidement pour préparer notamment des projets dans le domaine de la Santé ou de l’Environnement. Chacun sait que le changement climatique pèse sur la santé humaine et favorise les méfaits de virus comme la Covid 19. Nous souhaitons disposer au plus vite des interlocuteurs qui auront toute latitude pour s’engager après les élections sur des projets concrets.